La DAO, organisation autonome décentralisée, est un concept qui s’inscrit dans la philosophie de la décentralisation que laisse entrevoir la technologie blockchain. Mais en étudiant les caractéristiques d’une DAO telles que décrites dans cet article, un juriste identifie rapidement des problèmes de droit. L’un des plus significatifs est celui-ci : en l’absence de personnalité juridique, la DAO ne peut signer de contrat avec une autre entreprise, ouvrir un compte en banque ou agir en justice. DAO.LINK propose une solution originale à ce problème.

Avant de décrire l’activité de DAO.LINK, un bref aperçu des problèmes que posent les DAO en droit. Une DAO sur la blockchain Ethereum, c’est en substance un groupement de personnes (ou d’entreprises) anonymes (des participants), matérialisées sur la blockchain par une adresse (0x7D1cD61f6153efd67…). Ces participants prennent des décisions ensemble et ont souvent vocation à contracter avec des tiers (Contractant), mais ils ne forment pas ensemble une structure juridique connue, comme une société ou une association. On peut dire que rien n’existe pour encadrer juridiquement la DAO. C’est à la fois une grande liberté et un grand risque, car les actions de la DAO ne sont pas pour autant dénuées de conséquences dans le monde physique, hors de la blockchain. C’est aussi une grande limitation, car la DAO ne dispose pas de la personnalité juridique et n’a pas la capacité de signer des contrats ayant une force juridique, par exemple.

Ceci ne signifie pas qu’aucun droit ne s’applique à la DAO ! Lorsqu’elle interagit avec le monde, l’organisation est susceptible de créer des situations conflictuelles, lesquelles doivent être résolues en conformité avec les cadres juridiques existants… Et le droit existant dispose justement de cadres pour analyser ces structures, même s’ils sont imparfaits. Sans entrer dans les détails, en droit français, les groupements de personnes qui exercent une activité sans créer de société peuvent être considérés comme constituant des sociétés de fait (ou sociétés en participation, la distinction n’étant pas évidente). En droit français, la société de fait se définit comme “la situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées en fait comme des associés, sans avoir exprimé la volonté de former une société” (M. Germain, Traité de droit commercial, t. 1 : LGDJ 2002, 18e éd., n° 275). On voit que cette définition correspond assez bien à celle des participants à une DAO.

Cependant, la société de fait ne constitue pas une protection efficace pour ses associés. Elle est transparente juridiquement, ce qui les expose aux recours des tiers. Ils sont personnellement responsables des engagements et obligations de leur société, d’une façon générale et tout particulièrement vis-à-vis de l’administration fiscale… La société de fait ne dispose d’aucun droit ni obligation, ne peut être signataire d’un contrat, n’a pas de siège social, de patrimoine, ne peut agir en justice… En résumé, une DAO, même si elle s’analyse en société de fait, n’aura pas de personnalité juridique en droit français et ne pourra donc pas signer des contrats, remplir des obligations fiscales, ouvrir un compte en banque, etc. C’est un problème déjà soulevé par certains praticiens.

Si on peut imaginer, sans que cela soit évident, que les participants à la DAO acceptent de prendre les risques associés à cette participation, il n’en est pas de même pour les potentiels Contractants de ces DAO. Une société doit pouvoir signer un contrat avec une autre entité juridique pour justifier de sommes reçues ou versées, lui facturer de la TVA… et elle voudra avoir la possibilité de l’attaquer en justice !

DAO.LINK propose une solution originale de contournement de ce problème : le recours à une société, enregistrée en Suisse, qui a pour mission de faire le lien entre le smart-contract et le contrat physique. Voici comment les choses fonctionneraient : à la demande du Contractant, la société DAO.LINK lui fournit une adresse sur la blockchain Ethereum. Cette adresse représente pour la DAO le Contractant sur la blockchain, et le smart-contract est conclu avec elle. Dans le même temps, le Contractant signe un contrat « réel », qui est le miroir du smart contract, avec la société Suisse. Cette dernière va donc représenter la DAO dans ses relations avec ce Contractant. DAO.LINK assure que cette entité remplira l’ensemble de ses obligations juridiques et fiscales dans son pays.

Cette solution permet aux Contractants de la DAO de bénéficier de la sécurité d’un contrat signé avec d’une société qui dispose de la personnalité juridique, dispose d’un compte en banque… tout en contractant avec une DAO sur la blockchain !

Sur le billet de blog annonçant la création de la société DAO.LINK, une citation d’un des cofondateurs résume l’esprit du projet : « Nous vivons dans un monde organisé autour de lois et règlements. Cela ne peut pas être ignoré, mais la technologie et la réglementation doivent trouver un équilibre. Chaque grande innovation crée des vides juridiques qui doivent être comblés. Le modèle DAO.LINK contribue à combler ces vides« .

Une solution élégante, qui sera sans doute de nature à réduire les risques. Mais elle n’est pas parfaite. En effet, nous avons vu que la DAO n’a pas de personnalité juridique et qu’elle ne peut signer de contrat ; dans ce contexte, le contrat conclu entre la DAO et l’entité suisse n’a pas de force juridique. Si cette entité n’exécute pas ses obligations (elle ne remplit pas correctement les déclarations juridiques ou fiscales par exemple), la DAO n’a pas de recours possible contre elle. Et si la DAO ne remplit pas sa part du contrat (versement des fonds pour payer la prestation convenue par exemple), quel recours pour DAO.LINK, qui s’est engagé avec un contrat « réel » auprès du cocontractant ? On voit ici le point de faiblesse du projet : la solution proposée ne fait finalement que contourner le problème de l’absence de personnalité juridique de la DAO en déportant le risque du Contractant vers la société DAO.LINK.

Il s’agit néanmoins de la solution la plus élaborée proposée sur cette problématique à ce jour, compte tenu du droit existant. Elle est beaucoup plus sécurisante pour le Contractant.

Le fonctionnement de DAO.LINK sera détaillé dans les prochains jours avec le lancement du site officiel. Slock.it a déjà indiqué vouloir bénéficier de ses services pour contracter avec les DAO : un cas concret d’application sera rapidement mis en oeuvre. Une nouvelle expérience à surveiller.

Commentaires

Commentaires

  1. Alexis Roussel
    29 avril 2016 - 16h27

    En droit Suisse il est intéressant de voir que ce qui compte dans la conclusion du contrat, ce n’est pas la personnalité juridique des parties, mais sa capacité à manifester sa volonté. Dans le cadre du projet DAO.LINK nous sommes arrivé à la conclusion que le mécanisme de vote intégré à la DAO, précédé d’une proposition, permet à cette nouvelle forme d’entité de manifester sa volonté et donc de concontracter. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19110009/index.html

    Le droit suisse a l’avantage d’être simple, logique et de ne pas préjuger des actions des individus. Avec Bity.com nous avons déjà participé à la mise en oeuvre de la réglementation lié aux crypto-monnaies, et nous avions déjà constaté cela.

    Sinon, en tant que juriste, je peux vous assurer que cette aventure est fascinante!

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      Simon Polrot
      29 avril 2016 - 16h37

      Très intéressant ! Vous voulez dire qu’il importe peu que la DAO ait une personnalité juridique pour que le contrat ait une force juridique en Suisse ? Et le système juridique Suisse vous semble il permettre de reconnaître un smart contract comme un contrat per se ? De forcer son exécution ? Quid de l’assignation d’une DAO ?.. En Droit français je ne vois pas comment ceci peut se matérialiser (ne serais ce que parce que l’assignation nécessite une adresse… :))

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        Alexis Roussel
        29 avril 2016 - 16h58

        Exactement, voici les extraits choisis du code des obligations suisse:

        Art 1.A.I.1.1 – Le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d’une manière concordante, manifesté leur volonté.

        Art 11.B.I.1 – La validité des contrats n’est subordonnée à l’observation d’une forme particulière qu’en vertu d’une prescription spéciale de la loi.

        Les 1ers contrats qui sont prévus sont commerciaux, ne nécessitent pas la forme écrite. On verra lorsque la DAO aura la volonté de faire des contrats écrits. Mais il faut savoir que même le contrat de travail ne nécessite pas la forme écrite. Ainsi on pourrait imaginer une DAO employer une personne en Suisse…. je sens qu’on va s’amuser.

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        Alexis Roussel
        29 avril 2016 - 17h04

        On va rédiger un article juridique suisse sur le sujet afin d’explorer les pistes du point de vue du droit suisse. La difficulté de l’assignation est limité par la capacité d’action limitée de la DAO et la difficulté de connaitre les décideurs. Cela va enfin permettre de démarrer avec la pratique juridique le travail sur le droit des robots.

        Quand au droit français…. je vous laisse le soin de l’explorer. Il a à mon goût trop perdu de ses principes…

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          Simon Polrot
          29 avril 2016 - 17h28

          Excellent. Je serai très intéressé de lire l’article une fois qu’il sera terminé !
          J’explore activement le droit français actuellement, et effectivement ce n’est pas simple…

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  2. « Les Organisations distribuées autonomes : quel statut juridique ? », par @ThibVerbiest / De Gaulle Fleurance & Associés – Live CGP
    25 octobre 2016 - 14h45

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