Qui construit Ethereum ? Pour répondre à cette question, cette série d’interviews présente les français qui y contribuent au sens large : développeurs du protocole, développeurs d’applications, graphistes, investisseurs, utilisateurs, membres actifs de la communauté…

Nous commençons avec Brice Berdah qui travaille comme Community Lead chez Monolith.

Brice, avant de nous expliquer le projet, pourrais-tu te présenter et nous dire comment tu es entré dans la communauté ? 

J’ai toujours eu une appétence pour l’entrepreneuriat et j’ai commencé à lancer des projets assez tôt, notamment avec mon frère. J’ai un profil plutôt marketing, communication et communauté, mon frère est plutôt technique. On n’a pas forcément eu beaucoup de succès au départ [rires]. On a essayé de faire un chatbot – on a pris le cas le plus débile qui soit : le pizzabot [gestion de commande pour un camion à pizza]. Mais, même dans ce cas, on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de cas à la marge à gérer. Cela n’a pas marché mais on a appris beaucoup de choses.

J’ai ensuite fait du freelance avec des start ups plus techniques pour les aider à trouver leur audience. Je suis tombé, un peu par hasard, dans la crypto, lu le whitepaper bitcoin, investi un peu. Un an plus tard, en 2016, je me suis dit que je voulais aller plus loin et en faire quelque chose professionnellement.

De là est né « Ecocrypto » : un média accessible à tous pour éduquer sur la crypto, en français et en anglais. Une des caractéristiques principales est que cela devait rester lisible pour des vrais débutants. Je testais donc mes articles sur mes grand-mères, il fallait qu’elles soient en mesure de les comprendre, avant que je ne les publie. Cela prend énormément de temps de rédiger des articles de cette qualité, donc le projet est resté cantonné à 7-8 articles.

Ensuite j’ai rejoint Monolith :  je les ai contactés sur LinkedIn suite à une offre qu’ils avaient postée. J’étais un peu passé à côté de ces projets de cartes bancaires à l’époque, il y avait, à mon goût trop d’ICO sur les cartes bancaires et c’était passé sous mon radar.

Brice Berdah - Monolith Community Lead

Monolith est basé sur Ethereum, pourquoi choisir cette blockchain ?

En fonction de l’angle qui t’intéresse, ça peut être une question très simple. En l’occurrence…

Je m’intéresse grandement à la Finance Décentralisée (DeFi). Aucun projet intéressant n’a été développé à ce niveau-là sur les autres blockchains

Elles n’ont même pas de stable coin, que l’on considère comme niveau 1 sur Ethereum. Avec Ethereum, on a déjà plusieurs niveaux d’abstractions construits sur les stablecoins (DAI, cDAI, rDAI…)

Cela permet de construire des services uniques et tout simplement infaisables sur une autre blockchain. Cela n’enlève pas les problèmes de performance d’Ethereum, mais ceux-ci existent aussi sur les autres chaines, donc ce n‘est pas une facteur différenciant.

Aujourd’hui que fais-tu pour Monolith ?

Je m’occupe de développer la communauté, donc faire en sorte que tout ce qu’on fait soit visible en ligne et hors ligne. Concrètement, ça se traduit par la gestion de nos différents réseaux (Twitter, Reddit, etc.) et de notre communauté (Discord / Telegram), la production de contenu pour notre blog, ou encore la participation à ou l’organisation d’évènements ou d’interviews et toute autre chose qui peut aider à renforcer le lien entre notre communauté et notre équipe.

Qu’est-ce que c’est Monolith ? La banque décentralisée ?

C’est ça ! L’idée est d’offrir une alternative décentralisée et trustless à un compte en banque. Un wallet « non custodial » (sans consignataire, NDLR) dont seul l’utilisateur a les clefs. Le wallet utilise un smart contract, contrat autonome, pour stocker les fonds afin de permettre une sécurité supérieure à celle que tu pourrais avoir sur un Ledger. Tu peux définir des fonctions du style « pas plus de 4 Eth qui sortent par jour » et définir une liste d’adresses auxquelles tu fais confiance et qui ont, elles, la possibilité de dépasser les limites quotidiennes.

Notre ambition: offrir une alternative décentralisée et trustless à un compte en banque

Le fait de combiner des fonctions permet de limiter la quantité de fonds que tu risques de perdre si ta phrase ‘seed’, mnémonique, est compromise. C’est-à-dire que l’attaquant ne sera pas capable de déplacer plus d’Ether que ceux que tu as autorisés par jour. Par la suite, tu peux rapidement transférer les Ethers restants à une de tes adresses définies sur ta liste blanche.

Concrètement l’utilisateur utilise une carte bleue physique ? 

Oui. Avec le wallet vient une carte de débit Visa qui permet de dépenser chez n’importe quel marchand acceptant Visa (contactless, Google Pay, paiement en ligne…)

Ce n’est pas la première fois que l’on voit ce type de projet, qu’est-ce qui vous distingue ?

Deux choses. D’abord c’est la première carte qui existe avec un wallet non custodial lié à un smart contract qui va avec une carte de débit. Absolument tous les autres projets qui te proposent une carte sont des services custodians et généralement ils utilisent des portefeuilles simples. Ce sont eux qui gèrent tes fonds, il n’y a pas de smart contract.

La beauté de notre mécanisme est que tu as tes propres fonds, dans ton adresse Ethereum et tu charges ta carte quand tu veux dépenser. Ensuite, nous sommes très carrés sur les règles de compliance, on est basés à Londres et on travaille avec la FCA. L’idée c’est de ne pas être des pirates mais de construire un service pérenne. 

Comme vous proposer un wallet « non custodial », si l’utilisateur perd ses mots, il perd ses fonds ?

En effet, c’est uniquement le client qui détient les douze mots. C’est un compromis de sécurité. Si on perd les mots, on perd les fonds. On est en train de chercher une façon de récupérer les fonds : la manière facile serait une solution multi signatures, mais du coup cela engendre une forme de centralisation. Une autre alternative serait un “dead man switch”, basé sur l’utilisation du wallet. À chaque fois que tu recharges ta carte, tu enverras un signal qui garde ton wallet en vie, et, si tu n’as pas fait de rechargement pendant, par exemple, 3 mois, tu seras en mesure de récupérer tes fonds avec une autre adresse que tu aurais définie auparavant dans ta liste blanche. 

Comment se transforment les monnaies fiat en crypto ? Avec quels partenaires travaillez-vous ? 

Directement avec l’application depuis laquelle tu gères ton wallet, tu peux décider de recharger ta carte. Quand tu recharges, tu vends une de tes crypto monnaies pour la monnaie fiat que tu utilises sur ta carte (Livre Sterling ou Euro). Monolith agrège plusieurs plateformes d’échanges et on trouve celle proposant le meilleur taux pour la transaction que tu veux effectuer, on te l’affiche et on bloque le taux pendant 30 secondes. S’il te convient tu peux confirmer et la transaction s’effectuera en un bloc. 

De votre côté, comment se passe le rechargement ? Monolith reçoit les fonds ? 

Le rechargement consiste à vendre la crypto pour une balance en Euro ou Livre Sterling sur la carte. Lorsque tu effectues cette transaction directement depuis ton application, on t’affiche aussi les frais relatifs à la transaction (frais et licence de transaction). Après validation, il faut compter entre 30 et 45 secondes pour que la transaction et le rechargement soit effectif. Tout se fait dans l’app, et au niveau de la blockchain, on envoie l’argent sur un smart contract de Monolith qui réalise l’échange.

Puisqu’il faut gagner sa vie, est-ce que vous faites partie de ceux qui affichent des commissions fixes, un prix, ou vous le faites plus discrètement dans un spread, en quoi consiste votre licence de transaction ?

Pour nous la décentralisation va de pair avec la transparence. On n’a pas de frais arbitraires (ex: frais mensuel ou frais commande/activation de carte). Le seul frais vient quand tu recharges ta carte. Ce frais est clairement affiché dans l’application et il varie de 1 à 2% en fonction du token que tu utilises.

De base, tous les rechargements ont un frais de 1% directement versé à Monolith. Si tu utilises un token différent du nôtre, le TKN, il y a une contribution communautaire additionnelle de 1% qui n’est pas reversée à Monolith mais déposée dans un wallet, le coffre communautaire, qui appartient aux gens qui possèdent notre token, le TKN.

C’est un mécanisme assez simple de wallet qui accumule les fonds et les gens qui possèdent le TKN peuvent appeler une fonction : le burn, pour réclamer leur part des fonds contenue dans le wallet.

Une fois qu’ils font le burn, le TKN est détruit ? Enlevé de la masse monétaire ?

Exactement, la fonction de burn détruit le TKN et la personne récupère une fraction des tokens contenus dans le coffre communautaire correspondante au pourcentage total de TKN qu’elle possédait. Le burn du TKN n’a lieu que lorsqu’un détenteur de TKN désire retirer sa part du community chest

Donc quand les détenteurs du TKN récupèrent leur pourcentage, ils récupèrent un portfolio de devises. 

Exactement. On accepte une dizaine de token ERC20 pour le moment. C’est principalement de l’ETH et du DAI. Le TKN, grâce à la fonction de burn qui permet de récupérer sa contribution, est directement soutenu par un ensemble de tokens ERC20. C’est un peu comme une sorte d’index de tokens ERC20 à hauteur de leur usage réel.

Tu nous as dit que vous étiez bons élèves avec le régulateur :  que pense la FCA du TKN token ? Est-il considéré comme une Security, un titre financier ? On a l’impression que l’on pourrait acheter du TKN et attendre pour ensuite récupérer de l’argent car il y aura de l’usage.

Alors, non, le TKN n’est clairement pas une security (titre financier). On a des documents légaux produits par des avocats qui attestent que ce n’est pas le cas dans les pays de l’EEA, et ce pour plusieurs raisons. C’est une question tout de même assez compliquée car la législation relative aux titres financiers varie en fonction des pays.

Pour la France, le cadre législatif défini par l’AMF établit clairement que TKN n’est pas un titre pour les raisons suivantes :

  • Le TKN ne représente pas un droit / une possession du Token Group (Maison mère de Monolith dans son ensemble)
  • Les possesseurs de TKN ne peuvent prétendre ou espérer recevoir des dividendes réguliers
  • La fonction « Cash and Burn » est bien différente d’un rachat d’actions
  • La valeur du TKN n’est pas corrélée à la performance de l’ensemble de la société (Token Group), elle est dérivée de la performance d’un produit spécifique (la carte Monolith) 

Au niveau de la liquidité, quels sont vos partenaires ? est-ce que vous passez par Uniswap, par des échanges décentralisés, est-ce que vous avez exploré Kyber Swap ? Quels sont vos fournisseurs de liquidité aujourd’hui ? 

Toujours selon notre philosophie de décentralisation, on passe, autant que possible, par un DEX, une plateforme d’échange décentralisée. On utilise des aggrégateurs de DEX, comme Totle, et dans le fond, on est agnostiques à ce niveau-là : on veut le meilleur prix pour l’utilisateur donc on essaie de brancher le plus de plateformes possibles.

Contrairement aux banques classiques, qui veulent maximiser leur profit, et ce au détriment des utilisateurs, nous nos objectifs sont alignés avec ceux des utilisateurs : on veut qu’ils utilisent leur carte au maximum pour prendre ce 1 % de forfait. Donc si on veut qu’ils l’utilisent au maximum il faut rendre le service le plus attractif possible et donc pousser vers le bas les frais de conversion et d’usage.

Aujourd’hui qui sont vos concurrents ?

On a un produit unique ; une carte non custodiale, donc on n’a pas de concurrent direct. Mais si je dois nommer des concurrents je citerai Monzo. Notre but c’est de remplacer ta banque avec une alternative décentralisée, donc remplacer les banques et néo banques. 

En termes de partenariats, on sait que la plupart des gens qui proposaient les mêmes services travaillaient traditionnellement avec Wavecrest mais quand Visa a fait les gros yeux, beaucoup de services se sont arrêtés. Est-ce que vous avez la crainte que cela vous arrive également ? 

Oui, donc on y fait attention. C’est pour ça qu’on met l’accent sur la compliance. Les ennuis de Wavecrest sont arrivés parce qu’ils ont eu des problèmes de compliance. Nous on est très carrés dessus, on a une vraie procédure de AML et KYC. 

Comment se passent vos relations avec la FCA ?

Pour le moment plutôt bien. Au début ce n’était pas évident mais ils ont compris que notre position est unique, on ne pose pas de risque à nos utilisateurs. Contrairement à une banque classique, on n’a pas accès aux fonds de nos utilisateurs. Même si la société fait défaut, l’utilisateur sera toujours détenteur de ses fonds. Il n’y a pas de risque de perte d’épargne. En termes légaux, c’est un bénéfice énorme car, encore une fois, pas de risques, donc on ne doit pas se soucier de risques de non-solvabilité, etc.

Est-ce que vous avez des partenariats / intégration en cours ? 

Non, mais on regarde aujourd’hui des services plutôt de Finance Décentralisée (DeFi) comme Compound ou Maker… Tout ce que Ethereum a à offrir on est en mesure de l’implémenter dans notre wallet. 

On a parlé de transaction de monnaies fiat a crypto, mais dans l’autre sens, comment ça marche ? Il y a une possibilité de rechargement comme chez Revolut ? Je fais un virement ?

Pour le moment il n’y a pas la possibilité de recharger ta carte en monnaies fiat directement. On ne voit pas encore de solution pour que l’utilisateur puisse le faire avec des frais raisonnables.

Monolith est basée à Londres, pas à Paris, tu es francophone, es-tu le seul de ton équipe ?

On a un modérateur, Effalt, qui est francais. 

Le choix de Londres était une stratégie ? 

Oui, du côté de la FCA il y a une sandbox, qui nous a permis de lancer le service en ayant des garanties. Et concernant le Brexit, on s’est préparés pour les deux scénarios.

J’imagine, et tu l’as dit, le DAI est très utilisé, la valeur stable est intéressante. La France travaille sur un Stable coin Euro, qui sera collatéralisé. Est-ce que ce sont des projets qui vous intéressent sur le marché européen ?

Oui. On a des cartes en euros et en livres sterling mais des stable coins seulement en dollars. Du coup on cherche et serions ravis d’intégrer un stable coin EUR/GBP fiable. Si on a quelque chose de la qualité du DAI en euros ou en livres ce serait parfait. Et à ce moment-là on ira vérifier les audits, que la société ait une bonne réputation, qu’elle travaille avec des banques pouvant se porter garantes du projet…

Quelle est ton opinion sur la spéculation des crypto monnaies ?

J’ai un peu deux niveaux pour la question. Sur le premier niveau, et plutôt à titre personnel, nous-même à Monolith on a un token, et donc une communauté liée à ce token. Ça complexifie grandement la donne. Cela change la relation, car sa nature devient hybride : c’est à la fois une relation client-marchand doublé d’une relation de propriété. Certains membres de la communauté donnent l’impression de « te posséder » un peu parfois, et semble envisager la relation uniquement dans une perspective du type « que fais-tu pour faire fructifier mon argent ? ».

 Sur un autre niveau, plus général, je dirai que ce n’est ni mal, ni bien. C’est un peu comme quand on parle d’options dans le monde financier traditionnel. L’exemple type est le hedge, la couverture financière, sur les matières premières, qui a du sens. Pour autant, quand on part sur des cas d’usages complexes, on peut se demander s’il existe des cas d’usage légitime ou si l’on est allé trop loin. Aujourd’hui, en termes d’outils en crypto, on est encore sur des choses assez simples, à l’exception d’outils comme BitMEX qui sont des produits sans doute trop extrêmes. Il en faut sans doute, de la spéculation. Par exemple le stablecoin : est-ce que c’est juste pour spéculer ou va-t-on en faire des cas d’usages réels ? Aujourd’hui, la spéculation reste importante mais on voit apparaître le côté d’émergence de nouveaux cas d’usages, de prêts, de financement participatif, etc. DAI est le bon exemple de la spéculation qui se développe en même temps que l’usage réel.

Avant de se quitter, une dernière question ! Quel est le cas d’usage concret d’Ethereum pour toi ?

C’est le moment autopromo ! J’ai deux choses assez liées mettre en avant. 
Tout d’abord, comme je suis à Londres pendant la semaine et j’utilise uniquement ma carte Monolith pour les dépenses de la vie courante ! Je n’avais pas envie d’ouvrir un nouveau compte en banque. Je n’ai pas de carte d’une néo banque. C’est une bonne manière de voir comment ça marche. Je paye directement en crypto quand c’est possible et j’utilise ma carte Monolith quand ça ne l’est pas. Après, je de l’argent qui rentre en crypto aujourd’hui, donc c’est plus accessible pour moi.

Le second, c’est la finance décentralisée (DeFi) dont on parlait tout à l’heure. Les différents protocoles, outils et services DeFi se sont développés très rapidement sur les deux dernières années. Il y a désormais tout une industrie financière alternative qui est en train d’émerger, et il y a de quoi être enthousiaste car celle-ci est construite sur des bases bien plus saines que la précédente : interopérabilité et open-source, accessibilité, transparence, et contrôle. 

Il y a déjà des projets très intéressants et plutôt accessibles, mais encore trop peu de gens les connaissent. C’est pourquoi nous avons créé DeFi France avec Mounir et Arthur il y a un mois. Initialement, c’était simplement un groupe Telegram pour parler de DeFi en français. Le groupe a grandi rapidement et nos organisons désormais des évènements à Paris pour présenter la finance décentralisée et ses différents enjeux. Le premier meetup, une introduction générale à la DeFi, le 17 Octobre a été un franc succès avec une salle pleine. Si vous êtes curieux sur le sujet et parisien, n’hésitez pas à rejoindre notre groupe Meetup pour assister au prochain qui aura lieu à priori le 21 Novembre.